Everything Everywhere All at Once, quand plus rien n’a de sens
Autrice de l'article : Tassanee - Une plongée avec Michelle Yeoh dans le multivers pour parler relations familiales (asiatiques), par Daniel Scheinert et Daniel Kwan.
Malgré un succès phénoménal aux États-Unis et en Europe, le film Everything Everywhere All at Once, dont l’actrice principale est Michelle Yeoh, n’a pas eu la couverture médiatique attendue en France. Plusieurs membres de l’Asiattitudes Family (la communauté d’adhérent-es Asiattitudes) ont organisé une sortie cinéma pour aller voir ce film à sa sortie, tant l’affiche donnait envie. Tassanee, également membre de la Family, a pourtant failli passer à côté de ce film coup de cœur. C’est après en avoir eu des échos sur les réseaux sociaux qu’elle a décidé de le voir, et plutôt 2 fois qu’une !
Elle nous présente dans cette chronique l’histoire de ce film, ses coulisses et surtout son avis en tant que personne asio-descendante.
Bonne lecture !
Introduction d’un OVNI
Sorti en France le 31 août 2022, le film Everything Everywhere all at once a reçu un accueil chaleureux de la presse et des spectateur-ices, tant aux États-Unis qu'en Europe.
Pourtant, j’ai failli passer à côté de ce grand film car il n’y a pas eu beaucoup de tapage médiatique, mais un bouche-à-oreille qui m’est parvenu par… les réseaux sociaux ! C’est en effet en lisant un tweet qui disait “Quel est le meilleur film que vous ayez vu cette année ?” et en lisant les réponses sous ce tweet que j’ai découvert Everything Everywhere all at once, qualifiée de “claque visuelle” par la plupart.
C’est en voyant que Michelle Yeoh en était l’héroïne que j’ai décidé d’aller au cinéma. En tant que Cambodgienne d’origine, je me sentais investie d’une mission : aller voir un film porté par un casting asiatique pour aider à son succès public !
On doit sa réalisation à Daniel Scheinert et Daniel Kwan, duo habitué des studios de production A24. Les deux acolytes avaient déjà réalisé un OVNI, objet cinématographique non identifié en 2016 (Swiss Army Man, avec Daniel Radcliffe et Paul Dano).
Everything Everywhere all at once est aussi un OVNI, puisqu'il réutilise les clichés du cinéma classique par une déconstruction systématique des codes de la comédie dramatique et du thriller/film d'action. Le film est un hommage au cinéma américain et asiatique.
Le rôle principal est tenu par Michelle Yeoh, soutenue par d'excellents acteurs secondaires (Stephanie Hsu, Ke Huy Quan, James Hong et Jamie Lee Curtis).
Les informations pratiques :
139 minutes, États-Unis.
Langues : anglais américain - chinois.
Genre : Science-fiction. Musique : Son Lux.
Synopsis (farfelu) :
Une femme sino-américaine, usée par la vie, est emportée dans une aventure irréelle où elle doit sauver ce qui est important pour elle en se connectant aux vies qu'elle aurait pu avoir dans d'autres univers.
Hommages au cinéma asiatique, mais pas que !
Evelyn Quan Wang est une femme ordinaire. C'est le postulat de départ du film. Mais contrairement à la plupart des films de science-fiction, le long métrage des Daniels ne s'inspire pas uniquement du quotidien, il s'en sert littéralement.
Car Everything Everywhere all at once est un film à petit budget (25 millions de dollars pour 100,9 millions de dollars de recettes au box-office) qui se déroule dans des décors très banals : la laverie des Wang et les bureaux du département des impôts. Cette économie de décors, avec un casting très restreint, n'entache pas la qualité du film, puisqu'on y voit se déployer toute l'astuce des Daniels pour proposer un film basé sur le multivers.
Le multivers est une thématique aujourd'hui très à la mode au cinéma (par exemple chez Dr Strange ou Spider-man des Marvel Studios). Il est l'illustration d'un besoin de réflexion autour de sujets tels que notre réalité, le sens de nos vies et le capitalisme. En effet, dans Everything Everywhere All At Once, les réalisateurs commencent par filmer Evelyn Quan Wang, mère et gérante d'une laverie, dépassée par des piles de factures qu'elle doit justifier auprès du service des impôts. En partant d'une chose aussi banale que cela, on se sent très rapidement en empathie avec le personnage principal et sa famille. Nous sommes prêt-es à traverser la tempête avec elle.
Les films produits par A24 ont cette belle capacité à parler du quotidien, celui dont on ne voit jamais les sujets aussi bien traités qu'au cinéma. Récemment, le même studio qui a produit Everything Everywhere all at once avait soutenu Midsommar (2019) d'Ari Aster, The Lighthouse de Robert Eggers (2019), The Lobster de Yorgos Lanthimos (2019) et Moonlight de Barry Jenkins, Oscar du meilleur film en 2017.
La force du long métrage ici est qu'il rend hommage à un très grand nombre d’autres films, ce que j'ai vivement ressenti en allant voir Everything Everywhere all at once deux fois en salle ! Pêle-mêle, les réalisateurs assurent avoir clairement dispersé de nombreux clins d'œil à la saga Matrix des sœurs Wachowski, à In the mood for love de Wong Kar-Wai, à 2001 l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, à Ratatouille des studios Disney/Pixar, et aux films de Kung-fu comme Police Story, Drunken Master avec Jackie Chan, etc.
Une histoire familiale chaotique : Michelle Yeoh en pleine déroute
C'est d'ailleurs à Jackie Chan qu'était destiné le rôle principal au départ. Lorsqu'il le refusa, les deux cinéastes avaient dû revoir leur copie en réécrivant tout sur mesure pour la deuxième figure du film de kung-fu qu'ils admiraient tous les deux : Michelle Yeoh. Cette dernière est devenue, à la force de l'âge, une icône du cinéma asiatique, mais aussi hollywoodien.
On la voit ainsi en figure maternelle, dans Crazy rich Asians de Jon M. Chu (2018), dans l'équipage du film Star Trek de 2017, ou incarnant Aung San Suu Kyi dans The Lady de Luc Besson en 2011, ainsi que dans des rôles de la grande tradition du film de kung-fu.
Everything Everywhere all at once est avant tout une aventure familiale qui peut se lire de différentes façons car le scénario, très travaillé, nous offre un supplément de détail lorsqu'on y regarde de plus près. Et pour y avoir été deux fois, des détails m'ont sauté aux yeux (notamment les écrans derrière Michelle Yeoh, observez bien). Je ne vous en dis pas plus pour vous laisser découvrir ce double regard. Je trouve qu’une telle fraîcheur n'avait pas parcouru le cinéma depuis longtemps, visuellement parlant.
Pour le reste, le film ne nous propose rien de moins qu'une histoire de famille des plus banales. Evelyn ne comprend plus sa fille et sa fille ne comprend plus sa mère, le mari quant à lui est aussi perdu que le reste de la famille et souhaite remettre en question leur couple après des années de mariage.
Le scénario choisit de faire parler des versions autres qu'eux-mêmes et l'intrigue bascule dans le multivers. Bizarrement, on comprend tout, sans besoin de s'accrocher ou de connaître les univers (comme chez Marvel studios) et c’est appréciable.
À la manière de tout bon film d'auteur, Everything Everywhere all at once est découpé en trois chapitres, avec en plus un méta-discours sur le cinéma qui traverse sans cesse le film (le cinéma, est-ce une peinture de la réalité ?). Beaucoup de spectateur-ices se sont ainsi exclamés dans la salle lorsque l'écran de la fin de la première partie est apparu et sont restés pendant tout le générique à la fin, croyant qu’il y aurait quelque chose (allait-on être happé par le film à notre tour ?). Ces fameux chapitres ne renversent pas la table de l'art cinématographique, mais le transgressent joyeusement en proposant de nombreuses scènes absurdes, passant du cynisme à l'humour noir, jusqu'aux scènes des plus baroques, aussi farfelues qu'un de vos songes. Le tout est parsemé d’évocations de la difficile question des racines chinoises en Amérique, et du poids des traditions.
C’est un film sur la difficulté de dialoguer et de communiquer entre deux ou trois générations qui ne s’entendent plus sur leurs valeurs. Et comme dans bien d’autres longs métrages, seul l’amour vaincra.
L'alchimie entre les personnages est savoureuse. Stephanie Hsu reste un peu distante et froide, dans le rôle de la fille qui voudrait couper le cordon avec sa mère. Ce récit nous offre donc une perspective moins stéréotypée que dans Alerte rouge de Pixar, qui parlait aussi du lien mère-fille (que nous avons chroniqué ici).
Michelle Yeoh devrait décrocher des récompenses pour le panel de visages qu'elle a su donner à Evelyn. En somme, ce projet vertigineux n'aurait jamais été le même sans quelques puns ou easter eggs, clins d'œil pas trop subtils aux films asiatiques : la banane de Ke Huy Quan, les combats au petit doigt de Michelle Yeoh, l'humour scatologique pipi-caca, etc. Il n'y a pas de demi-mesure, une fois que vous embarquez dans ce délire visuel, vous ne décrocherez pas, même dans les moments les plus contemplatifs, en haut d'une falaise... je n'en dis pas plus !
Conclusion : mon coup de cœur de l’année
En bref, je pense que ce film tient du génie, même s'il n'est pas parfait. En effet, l'écueil n'est pas loin, à force de vouloir rendre hommage, on se retrouve parfois avec un patchwork d'idées, cependant cousues les unes avec les autres. Brillamment conçu, fantasque, de temps en temps foutraque, fourni en blagues potaches, le tout est évocateur de notre société d’aujourd'hui : surconsommation, massification, capitalisme, toute cette angoisse nous est ainsi balancée à la face, avec comme seule sauveuse, une Michelle Yeoh impeccable, implacable.
Un film qui parle au cœur et à la raison, qui traite du choix familial malgré les orages à l'horizon. J’ai adoré. En tant qu’asio-descendante, l’histoire m’a touchée personnellement et a résonné en moi. J’ai senti que le film parlait d’un sujet d’universel : une crise familiale et une quête d’identité. À 31 ans, je me rends compte que la vie de nos parents commence à différer de la nôtre et que la communication, si elle connaît des hauts et des bas, peut être brisée par cette quête d’identité que d’autres ne comprendront pas forcément, et qui est aussi la mienne.
Et vous, l’avez-vous vu ? Qu’en avez-vous pensé ? Sinon, est-ce que ma chronique vous aura donné envie de le visionner une fois sorti sur les plateformes de streaming ? Je vous le recommande en tout cas vivement, car c’est une expérience à vivre et à partager avec des ami-es !


Références cinématographiques de l’article
2001 l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick
Crazy Rich Asians de Jon M. Chu (2018)
In the Mood for Love de Wong Kar-Wai
Matrix des sœurs Wachowski
Midsommar (2019) d'Ari Aster
Moonlight de Barry Jenkins, Oscar du meilleur film en 2017
Police Story et Drunken Master avec Jackie Chan
Ratatouille des studios Disney/Pixar
Star Trek de 2017
Swiss Army Man, avec Daniel Radcliffe et Paul Dano de Daniel Scheinert et Daniel Kwan
The Lady de Luc Besson en 2011
The Lighthouse de Robert Eggers (2019)
The Lobster de Yorgos Lanthimos (2019)
Rédaction : Tassanee Alleau
Née au Cambodge, quelque part on ne sait pas bien où, adoptée en France par sa famille de cœur, Tassanee explore ses racines de bien des façons : écriture, arts plastiques, ateliers de recherche création, lectures, musiques, et même à travers une thèse d'histoire sur les racines végétales ! Elle aime les plantes, les livres, les animaux, les restaurants asiatiques et les frites.