Okja de Bong Joon-Ho
Autrice de l'article : Tassanee - Un film de satire sociale coréenne sur les dérives de notre société de consommation
Tassanee vous parle du film Okja sorti en 2017 qui l’a touchée au plus profond d’elle-même, en raison du sujet que le réalisateur coréen Bong Joon-Ho traite avec brio par son regard acerbe sur la société de consommation et son traitement des êtres (humains-animaux-végétaux). Le film a bien mérité sa sortie en DVD 4K en 2022 !
Si j’ai choisi de vous parler d’Okja, c’est que le sujet me touche particulièrement, puisque j’ai adopté un régime plutôt végétarien depuis mes dix-sept ans et que c’est la cause animale et environnementale qui m’a amenée à cela. De plus, Okja a été réédité en 2022 en édition DVD 4K Blu-ray Dolby Atmos, ce qui est assez rare pour un film d’un film diffusé sur Netflix.
Avant de réaliser le fameux Parasite (que j’ai adoré !), le réalisateur coréen Bong Joon-Ho avait tourné Okja, un drame de science-fiction sur le mode de la satire sociale, sorti en 2017. Il était déjà connu pour Snowpiercer, Memories of Murder, ou Mother. Il est aujourd’hui le plus cité/connu des réalisateurs sud-coréens.
Résumé : Une petite fille doit élever un cochon fabriqué génétiquement par une société américaine. Appelé Okja, le cochon et la jeune fille deviennent si proches qu’ils se protègent l’un l’autre dans la nature. Cependant, lorsque la taille du cochon prend des proportions extraordinaires, la société multinationale responsable de sa fabrication débarque chez eux et le reprend de force. Des kidnappeurs étranges et la jeune fille partent sur ses traces pour le sauver.
Un film effrayant par le sujet de société sensible qu’il traite : un conte sur la cruauté humaine envers les animaux
Je dois tout de suite préciser que le film de Bong Joon-Ho n'est pas fait pour tout le monde, surtout pas pour les spectateurs et spectatrices très sensibles. J’ai eu beaucoup de mal à regarder certaines scènes violentes. Ce que le film tente de dénoncer reste pour moi impossible à décrire sans manichéismes, sans quelques exagérations également. C'est bien ce que propose le cinéaste coréen, car depuis longtemps, il a fait siens les sujets les plus compliqués dans la société capitaliste et néolibérale qu'est la nôtre, mais sans jamais tomber ni dans le pathos, ni dans l'extrême nihilisme.
C'est avec brio qu'il mélange les genres, passant de la fable, au conte écologique, sans oublier la satire, puis le thriller dramatique, le tout parsemé de pure science-fiction. Car nous sommes bien là dans un sujet de science et de fiction. Pour bien apprécier le long métrage, qui dure plus de deux heures, nous suivons le point de vue d'une jeune fille qui veut sauver Okja, le très gros cochon créé génétiquement par un laboratoire américain, envoyé paître à l'autre bout du monde pour bénéficier d'un élevage rural "traditionnel" coréen.
Par cette perspective qu'on pourrait dire naïve ou enfantine, l'insouciance de l'enfance prend un tournant brutal lorsque les adultes américains débarquent dans les hautes montagnes de la Corée du Sud pour filmer Okja et l'enlever à sa "famille" adoptive. La scène est formidable lorsque Jake Gyllenhaal gravit les dernières marches qui l'amènent à la maison du grand-père de Mija, la jeune fille en question (jouée par Ahn Seo-Hyun). Cette dernière ne s'accroche à rien d'autre qu'à Okja, car elle n'a même plus le souvenir de ses propres parents et s'agace de son grand-père, un avare, trop attiré par l'argent.
Histoire d’un génocide animal
Le film de Bong Joon-Ho raconte le génocide animal pur et simple, celui de tous les jours, mais avec une maestria qui confère au film un aspect universel. En effet, le parti pris est d'humaniser l'animal par différents artifices cinématographiques : les yeux (très beau rendu par effets spéciaux), la peau de l'animal (sensible à la peur, à la joie, et par toutes sortes d’émotions.), le murmure de l'animal à la fin du film (fin en demi-teinte, plutôt sceptique sur l’avenir), etc. Le film oscille donc entre deux traitements. L'un purement hollywoodien, surtout dans les scènes de courses poursuites, ou celles filmant l'ALF, le Front de Libération Animal, ce qui déséquilibre un peu le côté tragique de l'intrigue, malgré les inspirations proches de films Pixar/Disney.
Focus sur les personnages du film et la réalisation
Tous les personnages (dont ceux joués par Paul Dano (Swiss Army Man, Little Miss Sunshine, There Will Be Blood, etc.) et Tilda Swinton (Snowpiercer, Moonlight Kindgom, Burn After Reading, Memoria, etc.), sont des exagérations à gros traits qui permettent à Okja de passer pour le visage le plus "humain" du film avec celui de Mija, jolie révélation coréenne lors de la sélection officielle cannoise de 2017. Jake Gyllenhaal, à contre-courant de ses rôles habituels, vient figurer la folie des humains, dans une interprétation impeccable d'un présentateur d'émission animalière devenu dément.
Les décors, la lumière, la photographie, tout rappelle l'excellente maîtrise artistique du réalisateur qui surprend en reprenant les codes du film de braquage ou des récentes réécritures de La Planète des Singes, peut-être même de King Kong dans la manière d'humaniser la "bête". Le film m'a aussi rappelé les problèmes de communications et de langages d’humains à humains et d’humains à non-humains dans l'excellent Premier Contact de Denis Villeneuve.
Un film sur le greenwashing et le lobbying et un conte anti-Disney
Le mot "science" est répété, asséné plusieurs fois dans le film, par Tilda Swinton dans le rôle de Lucy Mirando, PDG d'une firme qu'elle veut greenwasher pour légitimer une superproduction de viande nouvelle, génétiquement modifiée. Le sujet est moderne, car il embrasse les deux facettes du monde d'aujourd'hui : la face cachée et la face montrée au grand jour. Dans le film, tout le monde ment, ou se ment à soi-même, et tous n'en viennent qu'à la grande révélation en passant par une violence médiatique, physique ou métaphysique.
Contrairement à Disney, le réalisateur ne se montre tendre avec aucun des personnages (Les Américains, le grand-père coréen, la police coréenne, en prennent tous pour leur grade !). Il reste fidèle à sa dénonciation d’une société consumériste. Il choisit de faire d’Okja et ses congénères de véritables martyrs et de ne pas transformer les humains en sauveurs. Finalement, c’est la jeune Mija qui semble sauvée par Okja. De plus, à l’opposé des critiques, le long métrage est loin d'être extrémiste-végane dans son propos. De fait, Mija mange de la viande et des produits animaux (œufs) dans le film, pour autant elle ne considère pas Okja comme une bête à viande. Par ce point de vue non-occidental de la consommation de viande, Bong Joon-Ho offre la possibilité à l'audience qui regarde d'interpréter son film comme bon lui semble, sans imposer un militantisme crasse. Le message est plutôt anti-Disney parce qu'il cultive l'anti-américanisme et l'anticapitalisme.
Pourquoi ai-je autant aimé ce film ?
En résumé, j’apprécie que l’héroïne soit une jeune actrice aussi forte et émouvante à l’écran. J’ai aussi aimé le message derrière le film, moi qui suis végétarienne, j’ai ressenti une vraie empathie envers Mija et Okja. J’ai aussi été heureuse de regarder un film qui croise deux milieux culturels différents, les États-Unis et la Corée du Sud, pour en proposer une synthèse.
On ne peut pas dissimuler ses larmes à la fin du film. J'ai été très émue, plus que je ne l'ai jamais été avec les autres longs métrages de Bong Joon-Ho. Une véritable pépite du genre.
Et toi, as-tu vu le film ? Si oui l’as-tu aimé et pourquoi ? Cet article t’a-t-il donné envie de le voir ?
Films cités
Snowpiercer (Bong Joon-Ho, 2013)
Memories of Murder (Bong Joon-Ho, 2003)
Mother (Bong Joon-Ho, 2009)
Swiss Army Man (Daniel Kwan, Daniel Scheinert, 2016)
Little Miss Sunshine (Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2006)
There Will Be Blood (Paul Thomas Anderson, 2007)
Moonlight Kindgom (Wes Anderson, 2012)
Burn After Reading (Joel & Ethan Coen, 2008)
Memoria (Apichatpong Weerasethakul, 2021)
La Planète des Singes (Franklin Schaffner, 1968)
King Kong (Peter Jackson, 2005)
Premier Contact (Denis Villeneuve, 2016)
Rédaction : Tassanee Alleau
Née au Cambodge, quelque part on ne sait pas bien où, adoptée en France par sa famille de cœur, Tassanee explore ses racines de bien des façons : écriture, arts plastiques, ateliers de recherche création, lectures, musiques, et même à travers une thèse d'histoire sur les racines végétales ! Elle aime les plantes, les livres, les animaux, les restaurants asiatiques et les frites.